Inertie des grands groupes vs agilité des start-ups : mythe ou fatalité ?

Chacun aura déjà vécu l’expérience dans sa vie personnelle de la frustration liée à la fameuse inertie de groupe. Que se cache-t-il réellement derrière ? Comment l’expliquer ? Et quels enseignements peut-on en tirer sur le fonctionnement de nos entreprises et leur éternelle quête d’agilité ?

L’inertie positive
Observons un instant le fonctionnement de petits groupes d’individus en dehors du contexte de l’entreprise. Comparons par exemple le fonctionnement d’un couple en vacances à celui d’un groupe d’une dizaine d’amis, lui aussi en vacances.
Pour choisir son programme, le couple aura peu de difficultés : ils auront des envies similaires car ils seront globalement sur la même longueur d’onde. Et si certaines envies divergent, les compromis ne seront pas trop difficiles à trouver.
Dans le groupe d’amis, il y a plus de diversité (c’est ce qui fait sa richesse) et donc ça se complique : Vincent aura entendu parler d’une plage et voudra absolument y aller, Samuel aura une amie sur place invitant tout le groupe à un barbecue, Arnaud aura une promotion pour un aller-retour dans une île voisine mais Valérie qui a le mal de mer préfèrera faire autre chose… Et finalement, une fois que le groupe aura enfin choisi son activité du jour, les discussions interminables reprendront pour choisir le restaurant, le programme sur place, le chemin à emprunter.
Bref, plus le groupe est grand, plus il y a d’opportunités… et plus il y a de contraintes. Par conséquent, la prise de décision est plus difficile et plus longue. Et ce à tous les niveaux : de la décision stratégique (le programme de la semaine) à la micro décision (le choix du restaurant).
Idem dans une grande entreprise : le nombre d’options envisageables augmente avec la taille (en terme de stratégie à adopter puis de projets prioritaires à mener). Et une fois les projets sélectionnés, pour les lancer, l’éventail de choix est plus large : pour définir la meilleure équipe projet, pour s’appuyer sur des briques techniques et fonctionnelles existantes, pour choisir les outils les plus performants… Par conséquent,  le circuit de prise de décision est plus long.
Les grandes entreprises constituent ainsi un terreau favorable à l’éclosion de nouveaux projets et il faut donc les trier, les prioriser, les sélectionner, et tout cela prend du temps. L’agriculteur possédant un terrain fertile fait face à la même difficulté pour choisir le bon mix de plantation. Mais il ne troquerait pour rien son terrain contre une terre aride où il ne peut faire pousser que de la pomme de terre.
De la même manière, le groupe d’amis, grâce à la force de son intelligence collective et malgré son apparente « inertie », ne manquera probablement pas les endroits incontournables à visiter et aura même plus d’opportunités pour sortir des sentiers battus. La lenteur de la prise de décision liée à la multiplicité des opportunités et des contraintes serait donc un mal nécessaire.

L’inertie négative
Par opposition à cette inertie positive, il existe au sein des groupes une inertie négative qui n’est pas lié à l’accroissement des opportunités. En voici quelques syndromes à l’échelle de l’entreprise :

La multiplication des intermédiaires : Les couches successives s’accumulent parfois avec une cascade de délégations. C’est le fameux syndrome du « faire faire »… par son équipe, par une autre équipe, par un prestataire,… Si bien que les opérationnels en bas de la chaîne ont souvent l’impression que le rôle du manager se restreint à déléguer son travail tout en s’appropriant le succès !

L’hyperspécialisation des métiers : Pour se développer sur un marché mature et rester concurrentielles, les entreprises sont contraintes d’aller vers une plus forte spécialisation des métiers de leurs collaborateurs dans le but d’optimiser le fonctionnement de l’entreprise. Par conséquent, lors de la mise en œuvre d’un nouveau projet, un plus grand nombre d’intervenants doit généralement être mis dans la boucle. Il est donc plus probable que certaines tâches se situant sur le chemin critique relèvent de la responsabilité d’un collaborateur ne disposant pas du temps nécessaire pour les traiter. Les autres parties prenantes se trouvant ainsi contraints de se caler sur le rythme du maillon le plus lent de la chaîne.

L’anticipation de l’inertie : Nous allons même parfois jusqu’à anticiper l’inertie d’autres équipes et à l’utiliser comme prétexte pour son propre retard. Devant une charge de travail trop importante, qui n’a jamais été tenté de rejeter la faute à telle personne qui ne nous a pas répondu à temps – quand bien même nous n’avons pas procédé aux relances nécessaires ou que le retour en question n’était en réalité pas indispensable à l’avancement du projet ? Cela permet de reporter la date butoir de son action tout en partageant à plusieurs la responsabilité du retard. A la manière des prophéties auto-réalisatrices, l’inertie s’alimente elle-même dans un cercle vicieux qu’il semble difficile d’arrêter.

L’esprit de contradiction : Pas facile d’ « exister » dans une grande entreprise : il faut faire entendre sa voix, prendre des positions originales. Pour se démarquer de ses pairs ou de ses supérieurs hiérarchiques, on a donc parfois tendance à en rajouter. Cela passe par un excès de zèle au travers d’incessantes remarques qui ne font pas avancer le schmilblick, des critiques pas toujours constructives, parfois même des conflits. Poussés à l’extrême, ces comportements – tout à fait compréhensibles mais souvent mal maîtrisés par le management – peuvent conduire à une ambiance de travail délétère et improductive.

La dilution de l’intéressement au succès de l’entreprise :Lorsqu’on a fondé son entreprise et qu’on en est un des principaux actionnaires, on a une motivation forte de réussite, qui dépasse le simple intéressement financier. Cela tient de la fierté, de l’accomplissement personnel, de l’ego parfois. Dans une grande entreprise, ce phénomène existe mais est dilué, à double titre. D’une part entre les actionnaires d’un côté et les salariés de l’autre, et d’autre part entre les salariés eux-mêmes. Du coup, face à cette dilution, chaque collaborateur est personnellement moins motivé et désireux d’œuvrer pour le succès de son entreprise. L’intérêt individuel prime sur l’intérêt collectif.

La sauvegarde des acquis : Un exemple fréquent est la gestion des budgets. Nous avons tous rencontré ce type de situation : la fin de l’année approche, l’équipe n’a pas dépensé tout son budget et craint donc de voir son budget revu à la baisse l’année suivante. Elle s’assure donc d’utiliser tout son budget en dépenses peu réfléchies, même si celles-ci ne répondent pas à un besoin réel. Il est en effet plus facile de défendre le même budget plutôt que de se voir réduire ses frais de fonctionnement et de devoir justifier de nouveaux investissements (qui seraient alors arbitrés avec ceux d’autres équipes). Ce type de raisonnement encourage néanmoins le statut-quo au détriment de l’innovation.

Le poids de l’existant : Certains process dans les grands groupes semblent défier le bon sens. Cela est le résultat du phénomène mathématique de l’optimum local. Par exemple, pour concevoir un nouveau process, on va chercher à se greffer à un process existant. En repartant d’une feuille blanche, on aurait peut-être pu imaginer un process plus efficace mais cela aurait pris plus de temps et plus d’efforts pour un résultat au final pas si différent. L’accumulation de ces micro-décisions qui individuellement sont rationnelles peut conduire à des procédures au final lourdes, complexes, peu efficaces et défiant parfois le bon sens. Le poids de l’existant devient ainsi un frein à l’innovation de rupture.

Tous ces facteurs encourageant l’inertie négative sont souvent bien connus de l’entreprise. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des moyens de s’en affranchir, au moins en partie : travail en mode projet avec des petites équipes autonomes, méthodes agiles de gestion de projet (comme le SCRUM), intéressement aux résultats de l’équipe, mais surtout un management sensibilisé à la gestion de ces facteurs de risque inhérents aux grands groupes.

Rien de tel pour ceci qu’une session de P2P consulting avec une petite entreprise plus agile !

Question subsidiaire : y a-t-il un optimum de taille ?
En caricaturant un peu, les grands groupes seraient trop rigides car leur fonctionnement serait optimisé pour être le plus efficace possible en régime de croisière mais incapables de s’adapter à leur environnement ; les jeunes start-ups seraient agiles mais contraintes de déployer des efforts considérables pour communiquer, se faire connaître et rechercher des partenaires (techniques, commerciales, financiers…). Alors existe-t-il un optimum entre ces deux extrêmes ? Où se situe-t-il ? Se définit-il en termes de taille ou d’organisation ? Le débat est ouvert, pistes de réflexion à suivre prochainement !
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